Introduction

Une définition du chamanisme

Le chamanisme c'est comme le développement durable, c'est à la mode.

Qui ne fantasme pas sur le chamanisme?

"¤~~~~~~~¤=¤~~~~~~~¤"
Moi même j'étais pleine de fantasmes sur les chamanes
... et je le suis peut-être encore un peu, sait-on jamais.
Je suis partie en Équateur l'année de mes 22ans pour écrire un livre avec un groupe d'une vingtaine de chamanes andins dits "curanderos" ou "yachaks". Lors de ma première réunion avec le groupe, j'avais peur qu'ils aient tous le troisième oeil grand ouvert, qu'ils puissent voir en moi, me lire comme un livre ouvert et connaître tout de moi sans que je ne connaisse rien d'eux. Je me les imaginais tous comme de grands sages pleins de pouvoirs mystérieux.
Je me suis vite rendue compte que ce sont des hommes et des femmes comme les autres. Des humains, avec leurs parts d'ombre et leurs doutes. Des personnes qui possèdent un savoir-faire admirable, autant qu'on peut admirer l'art du forgeron ou du poète. Peut-être ont-ils simplement acquis des connaissances dans un domaine qui nous effraie et nous fascine à la fois: l'au-delà, l'invisible, le monde des esprits, qui notre fragilité face au mystère de la Vie.
*(mot Kichwa signifiant le Sage ou Celui/celle qui sait, équivalent du chamane)
"¤~~~~~~~~¤=¤~~~~~~~~¤"

LE MOT CHAMAN

Que comprenez-vous quand vous entendez "chamane" ou "chamanisme"? C'est un peu comme le "développement durable", ça ressemble à un terme général, un fourre-tout qui ne veut plus dire grand chose et qui attire tout et son contraire...
A ce qu'on raconte, le mot chaman viendrait du Tongouse qui est la langue d'un peuple de Sibérie appelé Evenk. Les traductions qu'on a pu en donner sont "celui qui s'agite", "celui qui produit de la chaleur". Il semblerait que le chamane Evenk était une personne capable de voyager avec son âme pour visiter d'autres lieux sur terre ainsi que le monde céleste et le monde souterrain. Pour simplifier un peu les choses, les anthropologues découvrant le monde et ses cultures  à la fin du 17ème siècle ont commencé à employer le mot de chaman(e)/chamanisme pour désigner tout une diversité de praticiens et de connaissances dans le monde.
Dans la région du Chimborazo il existe de nombreux praticiens, portant des appellations différentes selon les spécialités et l'expérience:
- le hierbalista est celui qui emploie les plantes pour soigner (infusions, onguents, bains, etc.)
- le curandero sait soigner avec les plantes, les lieux sacrés et les limpias (soins énergétiques)
- le yachak est un curandero qui, ayant acquis de l'expérience, devient capable de soigner au niveau de la famille et de conseiller la communauté
- le ceremoniante est celui qui sait commercer avec les lieux sacrés et diriger des cérémonies
- le brujo est celui qui sait utiliser les forces invisibles pour des fins peu angéliques (argent, attirer l'amour, faire tomber malade, tuer, gagner un procès, etc.)
- la partera est celle qui sait accompagner la femme pour ses menstruations, sa grossesse, son accouchement, sa ménopause, etc.
Le mot "Chaman" est donc une sorte de masque qui cache de nombreux visages, et, entre autres, beaucoup de charlatans qui savent profiter du flou que crée cette appellation et tout l'engouement qui l'accompagne.
De même que sur nos terres ancestrales nous pourrions trouver des sorcières, bardes, druides et mages, des exorcistes et rebouteurs, il existe de par le monde des milliers de pratiques et autant de noms pour en désigner toute la richesse.
Si l'on veut essayer de débroussailler le domaine, on peut dire que le chaman est, soit un, soit plusieurs, soit tous à la fois:
- un médecin (au niveau physique, mental et énergétique)
- un prêtre / religieux (agit au niveau spirituel, social et politique) - un mystique (utilise la transe et autres techniques de l'extase)
- un conseiller (agit au niveau individuel, familial et communautaire)
"¤~~~~~~~~¤=¤~~~~~~~~¤"

CHAMANISME, DROGUES ET HALLUCINATIONS

Lorsque j'ai commencé à poser des affiches pour faire des conférences sur le chamanisme équatorien, un nombre assez étonnant de personnes est venu pour me faire des remarques le sourire en coin: "ça va, tu as bien bu, bien fumé avec tes chamanes?!"
C'est vrai qu'il y a aussi ça dans notre fantasme du chamanisme: faire du spirituel en prenant des champignons ou autre, se faire un gros trip avec des super hallucinations pour rencontrer le Divin et s'illuminer. On est ici peut-être plus proche d'un New-Agisme douteux que des pratiques des taitas et mamas (les anciens) d'Equateur.
Tout d'abord le chamanisme que j'ai rencontré est quelque chose de plutôt sobre. Pour ceux qui cherchaient des gros trips, vous risqueriez d'être déçus car vous trouverez plutôt des réveils à 3 ou 4 heures du matin, de nombreuses restrictions alimentaires et charnelles, et parfois une discipline que nous ne connaissons pas ici en Occident.
"¤~~~~~~~¤=¤~~~~~~~¤"
Pour le reste, il me semble important de clarifier quelques petites choses:

- La différence entre hallucination et vision

Film: Las Vegas Parano
Hallucination auditive
l'hallucination est définie comme un état maladif, un trouble de la perception résultant d'un déséquilibre psychologique et/ou physique.
Visions d'Ayahuasca
Vision Amérindienne des Anges 
la vision est une médecine, elle vient enseigner et rétablir l'équilibre; comme un rêve elle nous connaît dans notre profondeur et est pleine de sens pour notre vie.
Vision typique de la tradition des autochtones d'Amérique du Nord: Sioux, Lakotas, etc. 
Vision de la femme Bisonne Blanche apportant le calumet et ses enseignements au peuples des plaines
"¤~~~~~~~¤=¤~~~~~~~¤"

- La différence entre drogue et plante de pouvoir

la différence n'est pas tant dans la constitution moléculaire de la chose, sinon dans l'usage qu'on en fait. Par exemple, le tabac est à la fois une drogue et une plante de pouvoir.
Une drogue est une substance que l'on utilise de manière maladive, c'est à dire qu'elle est comme une fuite en avant, elle s'emploie pour dissimuler un manque ou une souffrance de l'être. La drogue s'emploie aussi à des fins récréatives, pour s'amuser, délirer, sans se poser de questions. Dernier point très important est que la drogue créé un lien d'addiction avec l'utilisateur, elle provoque des états de manque, physiques ou mentaux, chez l'utilisateur et créé donc un cercle vicieux de besoin et de dépendance. Lorsqu'on prend une drogue, l'effet que l'on perçoit est agréable (on se sent plus fort, plus tranquille, plus ceci ou plus cela), cela renforce l'égo, mais profondément, cela abîme notre être à tous les niveaux.
Par exemple quand un fumeur est énervé, il fume une cigarette, instantanément il se sent plus fort, ne s'inquiète plus des autres ou de leur regard et donc il se sent mieux... mais à l'intérieur il y a quelque chose qui a été étouffé, sous la fumée (les sentiments, la souffrance, ou autre)
La plante de Tabac
Une plante de pouvoir est employée pour soigner, pour nous mettre face à nous-même et transformer notre être. La plante de pouvoir ne créé pas de lien d'addiction, elle libère des anciens schémas qui restreignent l'être. La plante de pouvoir ne se prend pas ou ne s'utilise pas; elle se reçoit, s'aime et se respecte. La plante de pouvoir n'est pas une simple substance, elle est un corps qui possède un esprit capable de communiquer avec le notre. Enfin, lorsqu'on reçoit une plante de pouvoir, l'effet perçu de premier abord est désagréable (pour l'égo, la partie illusoire de nous-même, notre personnage de société). Elle peut provoquer un inconfort (nausées, vertiges, transpiration, suffoquements, peurs, doutes, pleurs, diarrhées, vomissements, etc.), mais dans notre être profond nous pouvons ressentir le bien que la plante fait: elle débloque purifie et extériorise des blocages et déséquilibres en nous. La plante de pouvoir nous permet donc de briser le barrières qui nous empêchent de nous révéler. 
Par exemple, les curanderos d'Equateur me donnaient parfois à fumer du tabac pour me protéger lorsqu'ils faisaient un soin énergétique. Ils m'ont aussi donné du tabac macéré à boire pour me révéler mes peurs et m'enseigner à être forte. Ils employaient des cigares de tabac pour souffler la fumer sur les malades et ainsi les purifier. Enfin, certains utilisaient des cigares de tabac roulés dans des feuilles de maïs comme un microphone spirituel, afin que leur voix soient mieux entendues des esprits.
Rouleaux de tabac naturel
"¤~~~~~~~~¤=¤~~~~~~~~¤" 

TOUT LE MONDE PEUT-IL ETRE CHAMANE?

Peut-être... Pourquoi pas?
Je peux vous parler de ce que j'ai connu en Equateur: les chamanes de ces terres sont bien souvent devenus chamanes par transmission de leurs ancêtres (grands-parents plus souvent car ces savoirs ont "sauté" une génération en raison de la censure dont ils ont fait l'objet pendant des années). Il n'y a pas de diplôme ou de carrière pour devenir chamane. Je crois qu'en Equateur on naît chamane puis notre vie le révèle. Quelque part, cela est dans leur lignée familiale, et puis par-dessus viennent s'ajouter les esprits qui enseignent.
Il y a des cas un peu particuliers comme celui de Enrique ou Lucita.
Lucita est née dans une famille indigène pauvre qu'elle n'a pas côtoyé longtemps car elle est partie assez jeune travailler comme servante pour de riches propriétaires. Cependant, elle se rappelle que petite elle se cachait sous le lit de son grand-père, au milieu des cochons d'indes, pour l'espionner pendant que celui-ci installait des autels et recevait des gens malades.
Elle a donc passé la majeure partie de son enfance et adolescence à travailler, loin de sa famille. Alors qu'elle était encore assez jeune, peut-être vers 14 ans, un homme souhaita l'épouser, ce qu'elle fit. Ils s'installèrent ensemble et très vite leur relation tourna au cauchemard. Son époux était si brutal qu' alors qu'elle était enceinte il la brûla et la frappa violemment, à tel point qu'il l'envoya à l'hopital, presque morte. C'est là-bas, désespérée, entre la vie et la mort, que Lucita reçu son initiation. Dans son rêve elle vit venir une grande dame habillée de blanc, comme un bison. Celle-ci lui dit: "tout va s'arranger, tu vas sortir et trouver un homme pour toi, maintenant je vais te soigner et te donner un remède pour les femmes enceintes, quand tu sortiras, tu le partagera pour soigner les autres femmes et tu parleras de moi". Alors Lucita se souvient avoir été baignée dans une lumière de milliers de pétales de fleurs. Et c'est là que son fils est né.
En rentrant chez elle, son mari à moitié fou et très imbibé d'alcool ne reconnu pas l'enfant et la menaça. Il prit un couteau et griffa le visage du nouveau-né. Lucita eu la force de crier à l'aide et de laisser justice se faire. Elle reprit la route de l'hopital pour son fils pendant que la police arrêtait son époux et ne revint jamais en arrière. La grande Dame en blanc vint désormais la visiter régulièrement en rêve pour lui enseigner des remèdes et lui indiquer comment parler d'elle et faire des cérémonies.
Lucita en cérémonie
Lorsqu'il avait 7 ans, la mère d'Enrique était très malade. Ils étaient allés voir tous les curanderos possibles, et rien n'y faisait, tous disaient qu'il n'y avait pas de remède. Un jour, son père est parti vers le Sud, le laissant seul avec sa mère et lui indiquant de lui envoyer une lettre lorsque sa mère serait morte. Il resta alors seul, pleurant au milieu de la place d'Otavalo. C'est là qu'une de ses tantes qui venait de Colombie le reconnu. Elle le consola, lui donna de l'argent et lui indiqua d'aller à la communauté de Pocara de Velasquez trouver un curandero. Enrique partit le soir-même, sous une forte pluie, à la tombée de la nuit. Au bord du fleuve en crue, il trouva un homme qui lui parla en Kichwa et qui allait justement chez un curandero de Pucara de Velasquez. Celui-ci l'aida à traverser le fleuve et lorsqu'ils arrivèrent à la porte de la maison du curandero, derrière la porte on entendit "voilà mon fils". C'était le curandero qui avait parlé, et avant même qu'ils aient toqué, le curandero ouvrit la porte, les invita à entrer et dit à Enrique qu'il allait être son élève pour devenir à son tour curandero. Entra alors un esprit dans la maison et celui-ci dit que sa mère n'allait pas mourir, que le mal avait été jeté par une personne, et il désigna cette personne. C'était une des femmes qui était justement dans la maison du curandero, et celle-ci fut chassée à jamais. La mère d'Enrique fut ainsi sauvée et lorsque le curandero termina son soin, il alla dire à sa mère: "C'est ton propre fils qui t'a soigné, et par lui-même il sera curandero". Après cela, Enrique passa des années auprès du curandero, au départ simplement pour allumer les bougies, puis pour préparer les macérations, les encens, et peu à peu il devint curandero à son tour.
Enrique, curandero et époux de Lucita
Du reste de mes lectures, ce que j'ai retenu est que, dans les communautés traditionnelles, il n'y a pas mille moyens de devenir chamane:
- soit quelqu'un de notre famille nous le transmet;
- soit un chamane accomplis nous "reconnaît" et nous instruit pour nous transmettre le "métier";
- soit les esprits nous désignent comme chamane devant la communauté, comme un coup de foudre du destin.
Ce que j'ai retenu aussi est que le fait d'être destiné à être chamane dans les sociétés traditionnelles est plus perçu de prime abord comme une épreuve, l'annonce d'une vie difficile et solitaire, en marge de la communauté. Alors que chez nous, tant de gens rêvent aujourd'hui de devenir chamane!
Cela ressemble de très près à un autre paradoxe que j'ai ressenti en Equateur. Les chamanes me disaient vouloir écrire un livre parce que les jeunes des communautés ne s'intéressaient plus à ces savoirs, désirant plutôt aller à la ville, faire des études et avoir une voiture... et pendant ce temps les anciens meurent, emportant avec eux leurs savoirs. Et d'un autre côté, il y a tous ces occidentaux qui s'intéressent de plus en plus à ces savoirs ancestraux, les fantasment peut-être comme une sorte de paradis perdu, et qui d'une centaine manière deviennent la nouvelle génération à qui se transmettent ces savoirs, avec toutes les déformations et évolutions que cela peut apporter...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour laisser vos commentaires, idées, questions, suggestions, réflexions ... c'est ici !