Récits

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Vous trouverez ici des récits de mes aventures en Equateur 
qui pourront remplir une partie de vos nuits blanches...
Bonne lecture et prenez soin de vos yeux ;)
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~~ Arrivée à Riobamba, Équateur ~~

21 Février 2010 

Ca commence avec la mort. C'est elle qui me réveille au rêve...
La mort de Carmen, 98 ans. Mère de 4 enfants dont 1 mort et un "innocent" comme Charlie ( voir le roman "Des fleurs pour Algernon"). Ses proches la veillent et, comme c'était une fidèle, les soeurs Liliane et Inès chez qui je loge les accompagnent par une visite, des prières et des chants. Ce sont un peu des chamanes à leur façon, des passeuses qui nous parlent de l'invisible et soignent les corps (ces deux soeurs utilisent les médecines naturelles et alternatives).
Ils prient, chantent, parlent de Jésus, de Marie, de Dieu. Parfois cela me parle et je me joins à eux dans leurs chants. Aujourd'hui c'était aussi l'anniversaire d'Alison, qui a eu 9 ans le 10 Février, fêtés aujourd'hui avec un journal intime pour cadeau...
Ce soir le ciel s'illumine d'une demi-lune et d'éclairs... et quelque part, la Vie parle en secret.
Les deux soeurs Liliane et Inès ne semblent pas avoir d'heure ni de jour pour travailler. D'ailleurs elles ne parlent pas de travail. Leurs collègues sont leurs amis et les enfants de ces dernières sont leur filleuls ou nièces. Elles ne semblent pas avoir de vacances ou de week-end, comme nous, sauf lorsqu'elles rentrent en France, et encore... Elles ne coupent pas entre leur vie et leur travail et ne disent pas "on est dimanche alors je ne vais pas à cet enterrement".
La ville inachevée se salie des cendres du volcan Tungurahua qui crachote au loin et tache les neiges éternelles du Chimborazo qui domine la région.
Inès marche avec une béquille et raconte avec aisance et charisme ses aventures de jeune soeur envoyée en mission. Liliane cuisine à merveille et rit souvent.
J'entends le bourdonnement du calme et je me rappelle les chants lointains que pouvait entendre Carmen qui s'endormait à ce monde et s'éveillait à un autre... le monde des rêves et ... des morts.

~~ Limpias et Cérémonie de Floraison ~~

20 mars 2010 

Ce week-end j'ai suivi Segundo, un Curandero d'Ambato d'une trentaine d'années. On est allé dans un village paumé car le lendemain matin il y avait une cérémonie traditionnelle de célébration de l'équinoxe qu'ils appellent ceremonia de floraciones (cérémonie de floraison) et du nouvel an Andin. 
On est arrivé par le bus de nuit, et quand je lui ai demandé où on allait dormir il m'a répondu "en cualquier lugar, en el piso, como perros!" et a beaucoup ri (n'importe où, sur le sol, comme des chiens!). Moi j'ai ri un peu bêtement et me suis donc préparée à passer une nuit blanche...
Arrivé sur place, on a demandé de-ci de-là oú allait se dérouler la cérémonie le lendemain et on est monté dans diverses camionettes jusqu'à arriver tout en haut de la montagne, au sanctuaire de l'ancêtre Taîta Rumiñahui, grand guerrier autochtone, chef des armées du roi Atahualpa. De là on pouvait voir toute la région du Tunghurahua. C'est un point stratégique car on voit loin, et le lieux est un cercle de pierre, un peu à l'image de ce que signifie le nom de  Rumiñahui: oeil de pierre.
Il était tard, l'air des plateaux andins était humide et froid; on n'entendait derrière plus que le silence des grenouilles nocturnes.
L'ancêtre Taita  Rumiñahui
On a cherché des gens dans les alentours du sanctuaire et finalement trouvé une femme et quelques enfants sous une toile en plastique noire tendue sur 4 piquets qu'ils commençaient à installer pour vendre des beignets le lendemain à la sortie de la cérémonie. Segundo a dit à la jeune maman que nous étions des chamanes (Segundo aimait bien me présenter comme son apprentie) et là tout a changé. 
La femme nous a fait de la place, nous a donné une boisson chaude à la canelle (avec du trago... un alcool de canne à sucre super fort... vous allez voir, il y a beaucoup de trago partout) et nous a offert le logis dans sa "casa humilde" (son humble logis) qui était non loin de là, à quelques minutes à pied à travers champs, en sautant quelques faussés et barrières.
Voilà la jeune femme qui nous a accueillis ce soir-là, sur cette photo, faisant cuire des cochons d'inde pendant la cérémonie
Segundo a enfilé sa couronne de chamane aux couleurs de l'arc-en-ciel et a demandé si quelqu'un avait besoin d'une limpia (soin énergétique). Tout ce petit monde s'est alors mis en branle et les enfants sont partis en courant dans la nuit. Pendant ce temps, Segundo installait sur une table qu'avait débarrassé la jeune femme, son petit autel de voyage: un ocarina, quelques oeufs frais, des bougies, des préparations de plantes macérées (appelées macerados), des cigarettes, des pierres et quelques icônes. Bientôt le père de la jeune femme est arrivé au campement de fortune... puis le message a vite tourné dans le petit village qu'un chamane était là, "atiendendo" (donnant des soins), et malgré l'heure tardive, beaucoup de gens sont venus pour recevoir un soin. 
Segundo faisait chaque limpia avec un oeuf, le surupanga (une herbe à longue feuilles de l'Amazonie qui fait un bruit qui, dit-on, fait fuir les mauvais esprits), le feu qu'il soufflait, le trago et les macerados qu'il sopplaba (soplar: entre cracher et souffler un liquide) et la fumée de tabac à la fin "pour bien refermer la personne" qu'il disait. 
Segundo prépare son autel et appelle ses esprits alliés
Il a ainsi soigné les gens pour 1 dollar jusqu'à une heure du matin tout en m'apprenant les techniques de son métier. Par exemple, pour l'oeuf il m'a montré qu'au début il était mou, comme liquide à l'intérieur, on le sentait en le secouant bien fort. Après l'avoir passé sur le corps du malade en faisant des cercles et des bruits d'aspirations ou des invocations (chupa! chupa! yukshi! yukshi! = aspire! aspire! en espagnol et sors! sors! en Kichwa) l'oeuf était devenu dur comme une pierre, même en le secouant très fort. Segundo m'expliquait que c'était parce-que l'oeuf avait aspiré les mauvaises énergies. Mais attention, il m'expliquait aussi qu'on ne peut pas laisser l'oeuf comme ça... "tu auras besoin d'alliés, me dit-il, deux montagnes: un mâle et une femelle, car c'est eux qui t'aideront à enlever les mauvaises énergies, puis c'est à eux que tu les enverras pour qu'ils les transmutes". Ayant dit cela, il prit l'oeuf dans sa main droite et une grande gorgée de macerado dans sa bouche, s'éloigna et, la main tendue vers le ciel étoilé, sopla depuis son coude jusqu'au bout de ses doigts tenant l'oeuf. Il venait d'envoyer les énergies sales à ses deux montagnes alliées. Ensuite, il fallait enterrer l'oeuf ou le mettre dans un sac noir et le jeter pour être sûr que personne n'attrape des mauvaises énergies s'il en restait dedans.
Après cette séance de limpias, Segundo m'expliqua que normalement une limpia coûte entre 5 et 7 dollars mais que comme il était dans un endroit où il n'était pas connu, il commençait comme ça, une façon comme une autre de se faire de la clientèle. Je trouvais ça à la fois marrant et dérangeant que Segundo mélange en lui des qualités de guérisseur et de commercial type marchand de tapis, mais après tout, il n'était pas comme les chamanes qui vivent dans leur communauté, lesquels n'ont pas besoin de se faire connaître. Il n'était pas non plus comme les charlatans qui demandent des fortunes (de 100 à près de 3000$ pour tout guérir!), ni comme les sorciers qui demandent 100$ pour que ton ennemi se casse une jambe ou 1000$ pour que tu gagnes ton procès... Segundo était peut-être plutôt un chamane ambulant qui avait appri à vendre ses services pour nourrir son mode de vie.
On est allé se coucher dans la chambre que nous avait entièrement laissé la jeune femme dans son humble logis (sachant que c'était certainement une des seules chambres de la maison, c'est un luxe). Nous nous sommes glissés sous les couvertures, chacun de son côté du lit, pour dormir un peu, et à 4h40 (on devait se lever a 4h afin d'arriver pour 5h à la cérémonie ... mais on est en Équateur, une heure de retard c'est très honorable) nous nous sommes donc levés, avons bu une gorgée d'eau et sommes partis pour le lieu de la cérémonie... on était les premiers arrivés, avec seulement une heure de retard. La cérémonie a donc commencé avec près de 2h de retard sur l'heure prévue...
...
 
Le premier rendez-vous était près d'une rivière, dans la brume et les gelées du matin. On nous a lavé au bord du rio sacré (rivière) avec des herbes, des chontas (épées magiques en bois gravées de symboles) et de l'eau de la rivière mélangée à des pétales de fleurs fraiches.
Il y avait un monde pas possible et l'affaire a un peu tournée à l'usine, les rangées de ceremoniantes s'activaient de plus en plus. On passait à une certaine vitesse par chaque étape: l'un nous lavait avec des herbes en psalmodiant des prières, sans avoir trop le temps de s'y attarder, le suivant nous mettait quelques coups de chontas, ensuite on nous versait de l'eau sur la tête avec des pétales de fleurs et on disait merci. J'exagère un peu... mais l'heure plus tardive que prévue et le nombre de participants inattendu avait dû accélérer un peu la cadence de cet instant qu'on aurait pu s'imaginer plus doux...
Pendant que des centaines de personnes continuaient de défiler devant les officiants qui essayaient de garder le rythme, nous sommes remontés vers le lieu de la cérémonie principale (après s'être fait nettoyé on peut aller cérémonier).
Le temps que la cérémonie commence, Segundo a soigné, dans la chambre prêtée, des gens qui venaient de tous les villages voisins (le message avait vite tourné) et, ayant interprété mes rêves de la nuit comme bénéfiques, Segundo m'a confié la tache de limpiar, d'abord des enfants puis certains adultes avec le surupanga, le trago et la fumée de tabac comme j'avais pu l'observer le faire avant. Il me fit boire du trago, avec du gingembre pour que le mal ne me "colle" pas... au bout de 5 bolées, c'est sûr que rien n'allait me coller! 
Quand on est retourné vers le lieux de la cérémonie, la jeune dame du stand qui nous prêtait sa maison nous a offert à manger... et encore du canelazo con trago (boisson chaude à base d'alcool pur, de sucre et de cannelle)... et puis ensuite, quand Segundo soignait telle autre personne, sa famille nous offrait de la chicha con trago (boisson à bas d'alcool pur et de fruits macérés)... taro par-ci, taro par-là... Je n'en pouvais plus!
On est allé suivre la cérémonie. Au sol, il y avait une belle disposition géométrique de graines, de fruits, de fleurs et de tissus, comme une étoile, et de grandes cuillères en bois au centre. Des hommes menèrent la cérémonie, levant les bras au ciel, remerciant la nature, la Pachamama, demandant la fertilité et les bonnes récoltes pour les champs et la vie des peuples, puis il y eu des danses et une sorte de pièce de théâtre représentant (de ce que j'en ai compris) une scène de la vie des peuples du Tunghurahua confrontés à la modernité et aux changements des relations entre hommes et femmes.
En ressortant, on me proposait encore du trago... je n'en pouvais plus! je n'avais pas froid et rien ne me collait plus du tout, je déclinai la proposition et signalai à Segundo que je m'en allais... en titubant.
En descendant dans le village déserté, un papi me trouva un vendeur de glace ambulant pour me ramener au terminal des bus et de là je suis rentrée a Riobamba où je me suis écroulée dans mon lit! 
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~~ Temazcal ~~

21 Mars 2010 

Le lendemain, Dimanche, je suis allée à une cérémonie Temazcal dans les environs de Riobamba. Cette fois pas de trago...ouf! C'était une hutte de sudation (tradition plutôt des peuples d'Amérique du Nord et du Mexique), donc je n'étais pas trop perdue au milieu des Aho! et Mytakuyé Oyasin! (paroles Lakotas) pour ceux qui connaissent ;) 
La hutte était beaucoup plus grande (pour environ 20 à 30 personnes) que tout ce que j'avais connu auparavant lors des cérémonies réalisées en France. Les personnes avaient installé sur le sol un lit de feuilles d'eucalyptus fraîches qui aidaient à respirer lorsque la chaleur était trop forte, il suffisait alors de se pencher et de respirer près du sol. On est resté longtemps dehors en cercle avant de rentrer dans la hutte; les anciens (les taitas) ont fait des remerciements a la terre, aux ancêtres, à ceux qui étaient là et a ceux qui n'y étaient pas en fumant des gros cigares de tabac roulé dans des feuilles de maïs. On a mangé un peu de nourriture offerte avant d'entrer dans la hutte... qui n'était pas vraiment sombre car il y avait une seule couche de couvertures par dessus pour isoler. C'était différent des huttes que j'avais faites en France mais très bien, très reposant. En revenant en France, je me souviens que nos huttes occidentales m'avaient donné l'impression d'être comme un match de rugbymen: pleines de bruit, de chaos et de marcher sur les autres. Non, là c'était très doux, il y avait un certain ordre qui était respecté, certains champs et certains temps qui se suivaient dans le calme de la transpiration et de la mi-ombre. Il n'y avait pas de cris mais des soupirs, pas d'explosions mais des larmes simples et humbles... et de la joie aussi bien sûr, des sourires, plus que des rires.  C’était pour célébrer le nouvel an indigène, donc en sortant de la hutte on s'est tous souhaité una buena vida y un buen año (une bonne vie et une bonne année). 
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~~ La médecine du Lama ~~

26 Mars 2012 

Aujourd'hui je suis retournée a Palacio real (petite communauté autochtone au dessus de Riobamba qui centre son développement autour de l'élevage et des produits du Lama), Pablo, un artiste, peint toujours ses grosses pierres tout le lond du chemin de randonnée pour raconter la légende du lama aux promeneurs. L'histoire raconte qu'un Prince aimait une femme qui n'était pas de son rang. Alors pour pouvoir s'aimer ils se sont enfuis dans la forêt et transformés en lamas. Ils vécurent heureux et libres jusqu'à ce que la mère du Prince les reconnaisse, en voyant le regard humain de ces deux lamas. Le roi envoya alors des hommes les faire tuer et lorsqu'il se rendit compte que c'était son propre fils, il était trop tard. Les deux amants laissèrent couler leur sang et rejoignirent les étoiles. Depuis ce jour le grand esprit du lama blanc revient sur terre chaque année, descendant de la voie lactée pour apporter avec son sang, l'eau et la fertilité aux terres. J'ai rencontré Yolanda, une jeune puruha (nom des autochtones de la région) qui m'a parlé de la médecine du lama. Par exemple, la viande du lama est très riche en protéines et pauvre en graisses saturées et en cholestérol. Le poil du lama est très chaud et qui plus est protecteur: on fait des bracelets aux enfants pour les protéger du mauvais oeil. Certains savent utiliser les os pour soigner des maladies comme l’arthrite ou l'ostéoporose: on fait un grand bain dans lequel on fait bouillir tous les os d'un lama, puis on plonge le malade dedans pendant un certain temps. Ensuite celui-ci doit rester chez-lui sans sortir et respecter un régime stricte pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. Un matin j'irai peut-être boire le sang de lama fraîchement tué. Ils disent que ça protège de la sorcellerie... Dans cette culture, je me rends compte que beaucoup de gens meurent ou tombent malade à cause de mauvais sorts...
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~~ Week-end Sacré au jus de tabac sur les flancs du Chimborazo ~~

30 Mars 2010 

Partie I

Il est 3h de l'après midi, je saute dans le bus qui part pour Ambato, retrouver Segundo, le curandero qui m'a prise sous son aile comme apprentie. Je sens déjà que Riobamba ne me manquera pas! Le programme prévu est de retourner à Pillaro où l'on m'avait fait boire trop de trago, pour soigner encore, et le dimanche d'aller au Chimborazo, le père sacré de la province du même nom. Je sais maintenant qu'il faut prévoire l'imprévisible quand on planifie avec les autochtones donc je me laisse porter avec cette illusion de week-end bien organisé qui m'attend.  A Ambato, je suis Segundo qui souhaite rencontrer un vieil ami... on monte à l'arrière du camion, direction son usine de couvertures pour une visite guidée. Les machines sont gigantesques, il y a là-bas des moutons de laine du sol au plafond... et toutes les couvertures produites reproduisent le motif des panthères et des tigres. D'après le propriétaire: "les gens n'aiment que ces motifs ici... alors on fait des tigres et des panthères". Mais il y a cette unique couverture avec un colibri géant dessus qui "chupa una flora" (sirote une fleur), la loi de l'offre et de la demande a quand même ses exceptions... La nuit sera sous le signe du Colibri, moi j'vous l'dis!
La nuit commence à tomber, à l'arrière de la camionnette, on passe dans le village où il semble y avoir une certaine agitation et pas mal d’alcool de servi. L'ami propose un verre à Segundo, lequel me propose à son tour. Je remercie, pas pour ce soir. Segundo avale un verre rapidement et nous partons en bus pour le lieu du soin. Comme prévu on ne fera pas ce qui était prévu: au lieu d'aller à Pillaro on va dans un autre village, une autre maison pour un autre type de "curacion" (soin). Cette fois ça ne rigole pas, c'est une limpia por adentro (purification de l'intérieur).  On se retrouve dans une grande pièce sans rien du sol au plafond si ce n'est quelques chaises récupérées à droite et à gauche. Trois personnes d'une même famille entrent et Segundo leur donne à chacun une bougie blanche qu'ils doivent se frotter sur tout le corps puis à laquelle ils doivent souffler leur nom complet 3 fois. Ensuite, Segundo allume chacune des bougies et les pose sur la table où il a installé son autel de chamane ambulant. Il m'explique qu'il utilise les bougies pour lire la maladie. Tous deux accroupis devant les flammes qui évoluent lentement et pendant que les malades attendent, il me transmet ses techniques pour lire dans la flamme et la mèche: la mèche est un peu comme le corps physique et la flamme comme le corps d'énergie. Une bonne flamme bien dense et longue indique une bonne santé, si elle est irrégulière et toute petite, il y a un souci. Et puis, le regard toujours rivé dans les flammes, il commence à voir, des visages, des corps, etc. C'est un art qu'il a appris au Pérou me dit-il, "là-bas ils te voient tout entier juste en te regardant" me dit-il. Il m'explique qu'il a bu un petit peu d'Ayahuasca (plante de pouvoir de l'Amazonie qui purifie et enseigne) une demi-journée avant le soin et que cela lui permet de mieux visualiser et comprendre les maladies pendant plusieurs heures. Les bougies lui donnent un premier diagnostic et ensuite, pendant le soin, il regardera leur évolution pour voir si cela s'améliore. Il donne ensuite à chacune des trois personnes un bon verre d'Ayahuasca , (ce breuvage a de fortes propriétés purgatives et curatives) pour le corps et l'esprit. Segundo les fait s'allonger sur le sol et nous nous asseyons vers la table, en observant ce qui se passe. Lorsque le breuvage commence à faire son effet, les malades se mettent à avoir des nausées, nous les accompagnons donc dehors ou aux toilettes pour qu'ils se soulagent. Une fois ces instants passés où la plante a fait son travail en purifiant et en apportant des compréhensions importantes pour la sanction, Segundo commence les limpias. Il me confie alors une des 3 personnes à purifier avec les méthodes qu'il ma enseignées. On utilise d'abord des herbes: Camomille Romaine dite Santa Maria, Absinte dite Artmisa, Rue dite Ruda et quelques autres plantes douces et amères qui vont permettre de rééquilibrer les énergies de la personne et de chasser les mauvaises en les absorbant. La technique consiste à frapper la personne avec les herbes comme pour ébranler et secouer les énergies, puis de brosser pour les diriger, et par intermittence des les souffler vers l'extérieur pour les envoyer aux esprits alliés qui les transmutent (les deux montagnes). Tout en faisant cela, Segundo fait des bruits et psalmodie des mots ou phrases pour appeler ses esprits alliés à assister le soin et commander à l'énergie négative de sortir. Ensuite, on les lave avec un oeuf. Je brise le miens entre mes doigts car je suis trop nerveuse et j'ai peur de mal faire. Je reprends un oeuf, reprends mon souffle et commence à appeler mes esprits alliés et à faire confiance. Après la limpia à l'oeuf, on souffle du macerado sur tout le corps et par les quatres angles pour brûler ce qui reste d'énergies négatives et pour que le corps s'imprègne par la peau des énergies purifiantes des plantes macérées. Enfin, nous soufflons du tabac sur les centres énergétiques pour purifier à un niveau plus subtile et protéger ces entrées du corps. Pour terminer la limpia, Segundo les lave avec le feu. Là, je retrouve le rôle plus confortable et humble d'ayudante: je lui apporte les bougies, il crache le feu puis je rallume la bougie aussi vite que possible et lui tend à nouveau jusqu'à ce qu'il ait fini. Enfin, Segundo les baigne d'une douche d'eau bénite et de plantes macérées.  Les trois personnes partent se coucher ainsi, imprégnées du liquide et des odeurs de plantes, de fumée de tabac et bien lavées de adentro (l'intérieur) grâce au breuvage. Segundo leur indique de ne pas se laver pendant 3 jours et leur donne certaines interdictions alimentaires (alcool, viande, avocat, oignon, ail, piment) à respecter aussi pendant 3 jours, afin que les énergies du soin continuent de faire leur effet jusqu'au bout. Un monsieur qui était à la maison nous redescend dans son grand bus tout vide jusque chez Segundo. Il est déjà 23 heures. La maison de Segundo est une casa humilde (maison humble). Elle est le long de la route, de dehors on dirait un garage, et derrière on peut descendre, car elle fait trois étages. On descend alors par la butte de terre humide sur le côté et on rentre par la fenêtre qui se ferme avec une bâche en plastique noir et un tuyau d'eau. Dans la pièce il y a un gros chaudron, un grand lit, beaucoup de chaises et un bureau avec toutes ses pierres sacrées dessus et autres objets de pouvoir. Il leur offre du trago et donne une cigarette au Ekeke, une figurine venant du Pérou à qui l'on met une cigarette dans la bouche en faisant un voeu et qu'on laisse ainsi fumer pour que le voeu se réalise. Le sol est de la simple terre battue et il y a des sortes de bouts de tuyaux qui sortent par endroit et auxquels il faut faire attention quand on marche dans la pénombre. Avant de dormir je lui parle de mes rêves récents. Il m'aide à les interpréter et me propose de boire du jus de tabac afin de m'aider à mieux visualiser mes rêves. J’accepte même si je connais déjà le goût horrible de cette mixture, la boule qu'elle laisse dans le gosier et la particularité qu'elle a d'empêcher de tomber dans un sommeil profond. Je ne dors donc pas vraiment, la nuit est une longue méditation où je revois mes peurs, mes défauts, ou je prends des résolutions et où je chasse une panthère à main nues et la mange toute crue jusqu'au dernier os.  A 4 heures du matin, on se lève, je vais faire mes besoins derrière un buisson et puis on part. En montant pour aller chercher le bus on caresse le San Pedro que Segundo a planté devant chez lui (un cactus magique des montagnes) en lui demandant de nous donner la force pour cette journée. Tout roule alors comme sur des roulettes, à peine sommes-nous sur la route que le bus passe et nous montons. J'observe le levé de soleil et somnole pendant que le bus s'élève dans les hauteurs du Chimborazo jusqu'à ce que Segundo me réveille, "on descend là", je me lève rapidement et essaye d'avancer du mieux que je peux dans ce bus qui tangue et roule à toute allure au dessus du vide des montagnes. Je glisse, je me cogne et puis on saute du bus ralentissant et qui repart aussitôt à vive allure.  Nous sommes dans le Chimborazo... à plus de 3000 mètres d'altitude. Il fait frais. Les sources d'eau chaude naturelles sont indiquées à 6km, il va falloir marcher... Je chante à Segundo les chansons françaises des marcheurs: "Un km à pied! ça use! ça use...!" Au bout de plusieurs minutes de marche, passe près de nous une camionnette, on lève le bras et le conducteur ralentit juste assez pour qu'on puisse courir et monter à l'arrière avec les restes de maïs. Il nous dépose tout près des sources. Il est 6 heures du matin.  Le ventre vide et le coeur léger on va d'abord se passer dans l'eau froide de la rivière puis on entre dans les bains, du plus frais au plus chaud. Dans la  troisième et dernière piscine, la plus chaude, qui est en forme de triangle, Segundo m'ammène à mettre les pieds sous une pierre d'où sort directement l'eau venant du volcan Chimborazo. Ici on recharge les énergies et on fait des voeux me dit-il. Je reste longtemps, les pieds nus plongés dans cette fournaise, à faire des voeux, des voeux, des voeux... Après ça je cherche dans le bain une pierre que voudrait bien me donner le lieu. Je n'arrive pas à en sortir et me décide finalement à plonger, malgré la châleur brûlante du liquide. Sous l'eau, ma main va directement attraper une pierre. En sortant, je la contemple et vois son visage. Segundo observe mon trophée et me dit de la garder.  En sortant on se rince à la rivière d'eau fraîche puis on se bénie avec des essences de fleurs avant d'aller manger un caldo, une soupe de poulet avec de la yuca (une sorte de patate douce), des petites pâtes et de la coriandre. Une dame vient manger près de nous et nous dit qu'elle va en voiture au Chimborazo ensuite, elle nous propose de venir avec elle, comme si elle savait déjà où on allait...  Après tout ça, le corps moulu et le ventre plein je ne résiste plus au sommeil et vais m'allonger sur un bord de la rivière, au côté des vaches. Je ne sais pas combien de temps passe. Je somnole dans le glouglou de la rivière et les gling gling des cloches de vache.  Segundo finit par m'appeler depuis le pont, il est temps de partir. Il me dit qu'on rentre à Riobamba, que je suis fatiguée... Je me demande bien ce que je vais faire à Riobamba... je n'ai pas envie de rentrer, mais bon...  Il se trouve que la dame de tout à l'heure qui monte au Chimborazo descend ensuite à Riobamba. On monte alors dans sa camionnette. Dedans je découvre une troupe de gens bien heureux: un conducteur, Clever, qui parle trop parce qu'il veut être guide quand il sera grand et qui pose un "Oulalalaaa!" à toutes les phrases pour montrer qu'il peut parler français, Ernesto un passioné d'archéologie, la Señora Nelly à qui appartient la voiture et qui dort, épuisée par les bains, et enfin madame Mathilde devant, qui nous a proposé de monter en voiture avec eux. Derrière, dans la partie ouverte du pick-up, deux jeunes filles de 16 et 19 ans rigolent et textotent sur leurs portables. Arrivés au croisement où ils auraient dû nous laisser descendre pour prendre un bus vers Riobamba, je sens que l'énergie remonte en moi, je fais signe à Segundo que nous ne descendons pas, nous allons donc au Chimborazo avec la troupe.  Commence alors un voyage magique dans l'immensité désertique du Chimborazo... 

Partie II

Il faut que je vous raconte la deuxième partie du week end sacré avant qu’elle ne soit si loin. J’me souviens plus tellement où j’en étais… Vous savez qu’on est allé dans ces bains sacrés pour se recharger et prier, et puis là-bas on avait rencontré cette dame et on était parti avec sa troupe d’amis dans leur pick-up pour aller visiter le taita Chimborazo. 
Je me souviens des vicuñas, cousines sauvages des lamas, et des touffes d’herbes pour seules amies. Le Chimborazo immense au milieu de cette terre désertique balayée par le vent. Des photos par-ci, photos par-là, photo comme ça et photo comme ci… 
On a fait le tour du Chimborazo par tous les côtés jusqu'à ce que Segundo se décide à nous proposer d'emprunter un chemin qui mène à un lac dans l'intérieur du Chimborazo.  On a alors quitté la route de goudron pour s'aventurer sur des chemins de terre de plus en plus étroits et cabossés. A un moment, la voiture s'est arrêtée net et on est descendus. Il y avait sur la route un loup mort. Segundo dit que c'était un bon signe et entreprit de prendre ses dents car elles sont pouvoir, chance et bonne fortune. Un des membres de la joyeuse troupe, Ernesto, a alors sorti un gros couteau de chasse et les deux se sont penchés sur la mâchoire du loup pour essayer de lui arracher quelques dents. A ce moment là, un homme de la montagne est arrivé à cheval, emmitouflé dans son poncho de laine rouge. Il a sauté à terre et s'est approché des deux hommes accroupis sur le loup pour voir ce qui se passait et les aider. La dame Nelly lui demanda permission pour monter son cheval, ce qu'il la laissa faire pendant que je prenais des photos et que les filles à l'arrière continuaient de rire mais ne textotaient plus car il n'y avait plus de signal depuis longtemps. J'ai demandé à monter sur le cheval à mon tour et, pendant que les hommes s'acharnaient à écrabouiller la tête du loup plein de vers, je suis parti devant, à cheval. Je me souviens encore de ce que ça faisait... même pas besoin d’aller au galop. Tout là haut, seule avec ce cheval au milieu de l’immensité, au pas, guidée par le rythme de l'animal et des bourrasque de vent, je m'sentais libre, tellement libre de simplicité et d’immensité...
Et puis il y a eu un problème. J'ai entendu une forte agitation au loin. Derrière, loin derrière, après avoir pris les dents du loup, ils avaient voulu passer un trou avec la voiture  pour avancer et quelque chose avait fait BLIANG!!! La señora Nelly s'était mise toute rouge et tous criaient. Notre chauffeur, Clever, dit très calmement qu’il ne voulait plus conduire ici et que nous allions tous rentrer à la maison maintenant. Moi j’étais là, un peu pataude… je me disais "c’est dommage quand même…" Oui c’était vraiment dommage d'avoir fait tout ce chemin pour ça et c’est là que la señora Mathilde (celle qui nous avait invité à venir) enleva les couches de couvertures entassées à l’arrière du pick-up, révélant alors des paquets de fleurs, de grains, de pains, de cigarillos et autres nombreux objets nécessaires pour mener une cérémonie de remerciement à la terre et de “limpia” de nos âmes. Je n'avais pas très bien compris sur le moment mais je crois que le frère d'un des participants (Ernesto) était mort récemment, et que Mathilde était la soeur ou cousine d'Ernesto. Enfin bref, elle ou ils avaient prévu de faire une cérémonie pour la paix de son âme et de leurs âmes. La señora Nelly, qui était encore toute rouge de colère a dit qu'il fallait continuer, qu’on avait pas fait tout ce chemin pour rien. Mais ça ne suffit pas. Clever le chauffeur était trop faché sous son calme apparent, il refusait de continuer, et comme c'était le conducteur... On a fait demi tour et puis on a commencé à rouler pour rentrer. Et heureusement, il n'était peut-être pas si faché que ça, et même si on ne c’était pas tous bien concertés, on a finalement refait demi tour et on est reparti, cette fois avec un objectif clair: pour la faire cette cérémonie! Direction les lacs sacrés du Chimborazo!!! Après plusieurs quarts d'heure de chemin accidenté, on est arrivé à l’endroit... Enfin 100 mètres au dessus de l’endroit. A y regarder de près, je ne voyais pas où étaient les lacs, on ne voyait que quelques flaques par-ci par-là.
On a garé le pick-up au milieu de la route de terre et on est descendus pendant 20 minutes dans les touffes d’herbes et les buissons piquants, respirant la terre sableuse qui s'envolait sous nos pas lourds, avec tous nos sacs sur le dos, portant grains (mais, soja, choclo, etc…), pierres sacrées et autres objets contenant des esprits, des fleurs, du trago et tout ce qu’il faut pour te laver ton energie tout ça!  Arrivée en bas, j’ai compris qu’on marchait en fait sur un immense lac. Tout était un vert tapis de minuscules plantes grasses qui poussaient sur la laguna  (lac) et formaient un lit souple suffisamment solide pour nous laisser marcher (et les vicuñas aussi ). On s’enfonçait juste assez pour se tremper jusqu’aux chevilles. Par endroits l’eau sortait à l'air libre, et il y avait un endroit qui semblait plus particulier que les autres, comme un trou d'eau; c’est là que nous allions prier.  Madame Mathilde, qui s'avéraient en fait être aussi une sorte de curandera, installa la “mesa” (autel), priant et insatallant les fleurs, les grains et tout ce qu’il faut dans un ordre et une forme symbolique. Quand à moi on me chargea de faire le feu sacré. Cela me prit une bonne heure, plusieurs énervements, quelques découragements et l’aide de mes comapgnons pour arriver à faire du feu sur un lac avec des branches mouillées... Mais on y est arrivé!  Alors on a fait la cérémonie, la curandera Mathilde, le curandero Segundo… et moi! (je crois qu’ici on me prend un peu pour une curandera apprentie, et puis moi j’veux bien apprendre, donc ça marche). On a appelé les esprits du lieu, remercié les éléments, on a prié, et puis on a fait une limpia a chacun des gens et chacun de nous en finissant les jambes dans l’eau gelée du lac, avec le Segundo qui nous versait de l’eau sur la tête en priant.  La señora Nelly a beaucoup pleuré. On était presque nus, trempés de l’eau glacée, haut dans la montagne sur un lac immense… mais on n'avait pas froid. On était bien et la señora Nelly nous a imploré pardon pour son coup de nerf, nous a remercié pour la cérémonie, disant que c’était la meilleure chose qui lui soit arrivée ce jour-ci. Je me souviens que tout le monde souriait. On a offert la moitié de la nourriture, des fleurs, des grains et des fruits à la lagune et puis on s’est assis pour manger ensemble après s’être fait des abrazos (s'enlacer) et s’être remerciés de tant de choses simples qu’on trouve bête quand on est terne et amer: "merci d’être avec nous, merci d’avoir croisé mon chemin, ou juste merci d’être". On a mangé dans cet endroit magique, avec les vicuñas qui nous observaient à 100 mètres de là. Et puis un tout petit papillon est venu se poser sur la table de sol et la curandera a dit “ ahi esta el gran espiritu” (voilà le grand esprit). Et là, ou avant ou après, j'ai su que je n'étais plus juste une fille un peu originale qui parle d’esprits et fait des câlins aux arbres (même si j’apprécie aussi ce rôle ;p). Il y avait des gens "originaux" comme moi! En rangeant la table rituelle je pouvait parler aux pierres (aux esprits des pierres), les remercier à voix haute sans honte ni peur d’être prise pour une folle.
Et puis voilà! On a bien dû remonter après tout ça. 40 minutes bien raides dans les buissons piquants et la poussière soulevée par les vents. Mais on y est tous arrivé, avec de la menthe ou pas dans le nez. En haut j’me souviens que j’ai regardé encoré une fois le lac immense qu’on devinait maintenant mieux sous cette couche de plantes grasses et de fleurs… les vicuñas qui partaient en file indienne vers d’autres terres, et le soleil qui commençait à décilner sur toute cette immensité… sacrée! 
On est monté en voiture et on a roulé, se laissant bercer sur la route de sable cabossé. La vie nous a bien gâté sur le chemin du retour avec la pleine lune immense qui se levait sur le mont Kariwayrazo et le Chimborazo, rouge du soleil couchant et blanc des neiges éternelles. La mer de nuages que l'on surplombait à cette hauteur a laissé voir un cheval dans les derniers rayons du soleil...
... et puis tout ça s’est terminé tranquillement, de nuit, filant sur les routes de béton au son de la radio jouant les flûtes de pans des Andes…  ... entrant peu à peu dans la ville et la vie de tous les jours, de tous les gens.
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~~ Escapade dans l'Oriente ~~

Avril 2010 

Cette fois Segundo nous a proposé, à moi et la directrice de la fondation pour laquelle je travaille d'aller dans l'Oriente. L'Oriente c'est le nom qu'on donne ici à l'Amazonie, parce qu'elle se trouve à l'orient, à l'Est quoi. Segundo connait bien cette région, son grand-père curandero y allait déjà régulièrement bien avant lui pour chercher l'Ayahuasca, et Segundo lui-même est resté dans cette partie du pays pendant plusieurs années, apprenant de différents maestros (maîtres). Aujourd'hui il continue d'aller là-bas régulièrement pour chercher l'Ayahuasca et pour se recharger en énergies, car l'Amazonie est restée encore plus vierge et sauvage que les montagnes des Andes.
Nous partons donc de Riobamba avec notre gros pick-up pour aller récupérer Segundo à Ambato. Evidemment, Segundo est en retard. On attend une heure. Je vois que Mariane, la directrice commence à s'impatienter. On appelle Segundo et il nous dit "estoy aqui mismo!" (je suis juste là! ... ce qui signifie qu'il est encore loin, mais au moins il est en chemin). On attend au rond point, la nuit tombe, et Segundo n'arrive pas... Mariane, qui devrait pourtant avoir l'habitude de ces situations après plus de 10 ans en Equateur, commence à réellement s'échauffer. Elle décide qu'on ne va plus attendre, qu'on va rentrer à Ambato et que Segundo se fout de notre tête. Je tente la dernière chance: j'appelle Segundo, il me dit qu'il est là, au grand rond point. On en fait le tour, et dans la nuit je distingue la silhouette en pull rose de Segundo qui nous fait signe. Mais Mariane ne le voit pas et prend la route de retour à Riobamba. Elle est furax et j'essaye de lui dire que j'ai vu Segundo. J'insiste et insiste encore que je l'ai vu... Et elle finit par faire demi-tour. Ouf!
Segundo monte dans la voiture, Mariane lui lance un regard perçant et il lui répond avec un large sourire... Ca commence bien! Nous partons enfin. La nuit est noire.
Pour aller de Ambato au quartier de Mariposa, dans une petite ville après Tena, il faut environ 4 heures. Au bout d'une heure de route, Mariane fatigue et me passe le volant. Elle va se coucher à l'arrière et Segundo passe en co-pilote pour m'indiquer le chemin. Elle s'endort, et Segundo commence à me raconter les histoires de son monde...
Moi qui m'imaginais les chamanes comme des grands sages, pleins de bonnes intentions... je découvre un monde de querelles de pouvoir, de batailles entre sorciers et curanderos, de mystères et de mort. Plus les kilomètres défilent sur le compteur,  et plus je sens une peur monter en moi. Segundo me raconte comment les sorciers peuvent tuer pour obtenir le pouvoir d'un autre, comment il devient dangereux d'acquérir du pouvoir, car on devient alors la convoitise de nombreux rapaces prêts à user de tous leurs sorts pour obtenir notre force. Il me raconte comment lui-même a failli mourir lorsqu'il était jeune, dans l'Amazonie. Il était alors apprenti chez plusieurs maestros et l'un d'eux était en fait un sorcier qui utilisait son pouvoir pour de la magie pas très blanche. Aujourd'hui, Segundo reconnait qu'avoir appris avec ce maestro lui a été bien utile: il reconnait immédiatement les "trucs" des sorciers (quel type de sort a été lancé, comment le contrer, etc.). Mais ce sorcier lui prenait beaucoup d'argent, et un jour Segundo commençait à être vraiment sur la paille; il décida donc qu'il n'irait plus voir ce maestro. C'est alors qu'il tomba gravement malade. Très, très malade. Heureusement, grâce à son pouvoir, Segundo pu voir dans ses visions nocturnes qui avait fait ça: c'était bien sûr son maestro, le sorcier. Segundo se fit aider par d'autres amis chamanes (des gentils) qui le soignèrent. Puis, une fois remis,  il retourna visiter le maestro-sorcier pour lui dire qu'il savait ce qu'il avait fait, et tout ce que lui répondit ce dernier fut: " tu es là? tu devrais être mort à l'heure qu'il est "... Et Segundo m'en raconte encore d'autres comme ça, et les kilomètres défilent sur le compteur, et malgré ma peur croissante, je ne me défilerai pas... mais je serai certainement plus prudente. A mi-chemin on s'arrête sur un bord de route pour manger dans une petite cantine. Mariane dort toujours à l'arrière du pick-up. Segundo commande les plats pour deux: en entrée c'est soupe de légumes et pâtes, ensuite un bout de poulet et dur riz blanc et pour finir un jus de fruit frais. En mangeant Segundo m'explique ce que les chamanes évitent de manger: l'Aji (une sauce pimentée), le porc frit et en général la friture. Il m'explique qu'on peut aussi reconnaître les brujos (les sorciers pas très clean) car ils mangent beaucoup de nourriture pimentée et des fritures bien salées.
Carte (très approximative et pas trop à l'échelle) pour arriver chez les Mamallacta
On finit par arriver à Tena, puis derrière Tena le petit bled de Archidona, et après le petit bled, sur la route en terre où les lampadaires s'arrêtent, se trouve le petit voisinage de Mariposa. Il est près de minuit, on se gare dans le noir et on met le pied sur cette terre fraiche et humide d'Amazonie. Elias Mamallacta est notre hôte et ami de Segundo. Il nous ouvre une petite maisonette construite en gros pavés de béton peinte de motifs rappelant des plantes, des serpents et autres animaux de la jungle. Eclairés à la lueur de la bougie, on dirait qu'ils dansent. On s'assoie un temps tous ensemble sur le sol poussiéreux. Elias nous raconte des histoires et joue de la guitare, jusqu'à ce qu'il soit temps de nous assoupir sur le lit, sans être passé à la douche ou aux WC. Moi je commence à avoir l'habitude, à suivre Segundo de ci de là; mais pour Mariane "et bien! c'est l'aventure!", comme elle dit.
Elias Mamallacta, notre hôte
La nuit est courte et au réveil je vois distinctement les peintures sur les murs de béton. Elles ne dansent plus. Dehors les grenouilles ne coassent plus mais c'est une autre musique que l'on entend. Je découvre donc ce lieu où nous nous sommes garés hier à l'aveugle: quelques maisonettes, des fils de linge qui n'en finissent plus d'essayer de sécher dans cette moiteur tropicale, des arbres et du vert de partout partout, et surtout une rivière dans laquelle je vais tranquillement barboter pour me réveiller en douceur. Segundo arrive à la fin de mon bain et me dit: "C'est bien, tu commences déjà à te recharger en énergies". Je suppose que c'est la rivière...
La rivière
Nous partons retrouver Elias dans son autre maison, plus proche du centre du village. On va faire un tour au marché tous ensemble. J'aime particulièrement le coin des hierbalistas (herboristes), plein de plantes aux multiples vertus, de bouteilles pour soigner ceci, de mélanges en poudre pour soigner cela. Des encens pour attirer le client, d'autres pour purifier, pour apaiser, etc. On passe acheter des pommes de terre et autres fruits et légumes. Ici tout pousse, tout au long de l'année. En passant près d'un étal, je vois des bassines remplies d'une sorte de sciure. Je m'approche et vois que ça bouge, comme une respiration... Elias vient et dans un sourir soulève la sciure avec un bout de bois... pour découvrir se qui se cache dessous: des gros vers blanc et bien gras de type Kolanta. Il me demande si je veux qu'on en achète. Je remercie, ça ne me donne pas très faim... Il sourit, je crois qu'il a l'habitude des touriste et des gringos, et me rétorque "c'est plein de protéines et grillés c'est très bon, comme des saucisses".
Ensuite on passe au QG de l'organisation des chamanes de la région de Tena. Le lieu est dans un vieil immeuble de deux étages. La salle est grisâtre et assez vide: un bureau, quelques chaises poussiéreuses récupérées de ci de là, une lampe. Sur les murs des affiches d'organisations indigènes et de chamanes et des mots en Kichwa rappelant ce qu'un chaman doit connaître et maitriser pour se réaliser. Avec Mariane, on se rend compte qu'Elias veut nous présenter parce qu'il voudrait écrire un livre sur les savoirs des chamanes de la région... Mais l'affaire n'est pas très claire, on ne sait pas s'il veut écrire sur l'histoire de sa famille ou sur tous les chamanes de la région. Nous en restons donc à une simple prise de contact. Après ça, Elias va faire une "petite" course. On l'attend pendant près d'une ou deux heures puis il revient nous chercher. On monte en voiture pour aller visiter la région.

Limpia sur un lieu de pouvoir

On se rend d'abord dans un lieu perdu, en hauteur sur une colline. En marchant un petit moment à pied, nous arrivons à une pierre sacrée. Elias nous explique que sous nos pieds se trouve le monde des pierres, et que cette grosse roche qui sort du sol est comme le toit de leur maison, qu'il faut l'approcher avec respect. D'un côté de la pierre, il y a comme des dessins anciens gravés... Pendant que Segundo ramasse quelques plantes alentours, Elias prend une bouteille et se met à soplar (souffler-cracher) tout autour de la pierre, jusqu'au moment où il aperçoit un arc-en-ciel. Il dit alors "l'entrée est là". On entre donc par ce point pour grimper sur la pierre. Elias nous explique que l'entrée change de place au cours de la journée, avec la course du soleil.
Une fois sur la pierre, on découvre une sorte de petite cuvette qui a été creusé par la pluie. Elle est remplie d'eau et Elias nous dit qu'elle est très bénéfique, il nous fait assoir sur la pierre puis, avec Segundo, ils utilisent les plantes ramassées, l'eau de la pierre et des macérados pour nous faire une limpia (voir la section "l'Art de la Limpia").
La chicha à boire
On reprend ensuite la voiture pour aller un peu plus bas, on traverse une grosse rivière bleue turquoise par un mince pont pour atteindre un petit hameau de quelques humbles maisons regroupées autour d'une sorte de terrain de foot en terre. On entre chez une vieille dame de leur connaissance. Chez elle il n'y a qu'une seule pièce, tout est en bois, sur pilotis et il y a une seule fenêtre: un simple trou carré à l'opposé de la porte. Au sol un feu est allumé et enfume doucement l'air du lieu. Aux murs pendent des marmites et des plantes inconnues. On s'assied et ils discutent un moment en Kichwa puis la vieille dame nous donne de la chicha à boire: une sorte de boisson à base de fruits macérés et mâchés. Le goût est assez difficile pour une non-habituée et il y a des morceaux gluants et filandreux dans le fond, mais je bois pour faire honneur à la dame qui me l'offre et m'accueille. Segundo me dit que c'est très bon pour la santé et me demande si je trouve ça bon... Je réponds par un sourire un peu forcé, la bouche pleine. Ensuite, chacun à notre tour, elle nous fait une limpia avec le surupanga, des chants et du tabac. Elias me donne à fumer une cigarette pour que je ne me fasse pas coller des énergies pesantes qui sont expulsées de nos corps. Je suis la dernière à passer. Quand elle a fini elle me dit quelque chose en Kichwa. Segundo me traduit: "elle dit qu'elle t'a mis un os". Je la remercie et lui donne le peu de monnaie que j'ai emporté avec moi.
Limpia avec la fumée du tabac
Limpia avec surupanga
Je suis notre petit groupe qui retourne au pick-up, assez interloquée sur ce que cette dame a bien pu vouloir dire par "je t'ai mis un os"... Je me dis que c'est peut-être quelque chose pour me renforcer, me donner de la stabilité. On reprend les routes terreuses pour retourner au quartier de Mariposa, chez la famille Mamallacta. Sur le chemin on s'arrête pour aller voir une autre pierre sacrée. Celle-ci est beaucoup plus grande et se trouve au milieu des maisons et magasins. Assis en haut se trouvent deux ouvriers en train de manger des chips, de fumer et de boire une bière. Au pied du rocher, on trouve des déchets en plastique et sur le bas de la roche, des dessins anciens gravés, dans le même genre que ceux vus sur la pierre précédente, indiquant le caractère sacré du lieu. On ne montera pas sur cette pierre. En partant Elias dit "mmm, ils savent où trouver des bonnes énergies", en parlant des deux ouvriers. En silence, je réponds que "oui, ils savent les trouver, mais peut-être plutôt inconsciemment... et ils ont dû oublier que c'est le toit du monde des pierres et qu'il faut entrer par la porte..."

...

Une nuit avec l'Ayahuasca

...

On reprend la route; Elias et Segundo parlent en Kichwa devant, avec Mariane on regarde le paysage à l'arrière. Elias nous explique que ce soir nous allons faire une cérémonie d'Ayahuasca et que nous allons déplacer nos affaires dans son autre maison (encore une! ça fait 3) pour cette nuit, afin d'être plus proches du lieu de cérémonie.

On prend donc nos sacs sur le dos pour 20 minutes de marche dans la forêt tropicale afin d'atteindre le lieu de la cérémonie, qui est aussi la maison des parents d'Elias. Le chemin pour monter est très beau: simple et vert. On passe par dessus une rangée de grosses fourmis qui traversent le chemin, chargées de bouts de feuilles vertes qui font plus de trois fois leur taille. On monte, on monte, passe un petit ruisseau puis monte et monte encore. Arrivé à un virage, Elias pousse un cri aigu et puissant. Plus tard, je comprendrai moi-même que ce cri faisait office de sonnette ou de repérage, et me mis à l'utiliser aussi pour prévenir de mon arrivée où savoir en chemin si un ami était déjà au lieu où j'arrivais. On arrive donc enfin, pleins de sueur, à la maloca familiale, une sorte de grande hutte servant aux cérémonies avec derrière des chambres et une cuisine.
La maloca des Mamallacta
Nous faisons donc connaissance avec les parents d'Elias. Celui-ci donne à sa mère les légumes achetés sur le marché et elle disparait à l'intérieur avec le lourd sac. Pendant que les gens parlent,  sur les murs j'observe les lances, instruments de musique et les dizaines d'objets ressemblant à de superbes plumeaux fait avec des plumes de perroquet. Elias m'explique que ce sont des outils chamaniques qui servent à appeler les bons esprits et chasser les mauvais. Nous reprenons ensuite le chemin, descendant cette fois-ci une quinzaine de minutes pour rejoindre la petite maison en bois d'Elias, qui se trouve isolée en pleine forêt, au bord d'une rivière. On reconnait la patte d'Elias car les murs sont peints. Il semble passer une bonne partie de son temps ici, il y a sa guitare, et son énergie. C'est aussi une maison qu'il prête, de temps en temps, à des gens de passage.
Tout près de la maison se trouve la rivière, pour se laver et se ressourcer, ou juste pour rêver...
Nous avons ainsi un petit moment pour nous rafraîchir, prendre le temps et puis, au moins pour moi, de se préparer à la longue nuit qui va suivre. L'Ayahuasca n'est pas une plante avec laquelle on rigole, alors je cherche en moi les bonnes intentions pour cette soirée, ne pas juste venir en touriste. Mariane aussi va participer, d'ailleurs je n'irais sûrement pas sans elle. Je trouve ça génial que, même si elle est bonne soeur, elle soit ouverte à la richesse de la culture ancestrale et aux croyances des peuples autochtones. Son ouverture est réelle puisqu'elle ne va pas faire que passer en touriste et regarder de loin, ce soir nous allons prendre en nos corps une médecine très importante pour tous les peuples de l'Amazonie, et ce depuis des temps immémoriaux: nous allons boire l'Ayahuasca, autrement appelée La liane des morts. Dit come ça elle peut faire peur, mais après tout, le monde des morts n'est autre que le monde des esprits et des rêves, nous y allons tous chaque nuit, certains humains comme les chamanes savent y aller  même éveillés, et puis à la fin nous finissons tous là-bas. Autant découvrir un peu à quoi ça ressemble, puisque ça existe et que c'est toujours là, même si on ne le voit pas. On remonte donc à la Maloca des Mamallacta. D'autres chamanes sont arrivés, notamment le chef du groupement de chamanes de Tena. Ils s'assoient tous dans la Maloca et discutent tranquillement pendant que la nuit tombe. Assise dans un coin, je reste silencieuse, observant et écoutant tout ce qui peut se passer autour. On allume les bougies et les ombres se mettent à danser dans la nuit rouge pendant que la tension de l'attente grandit peu à peu en moi.
Et puis à un moment donné, les chamanes quittent leurs casquettes et enfilent leurs couronnes de plumes. Les discussions cessent et tous s'assoient en cercle. Elias attrape un arc de bouche dont il jour pour appeler les bons esprits. Je suis toute ouïe, les yeux écarquillés, pour ne rien manquer de ce qui peut se passer. Ensuite Elias nous fait un speech pour nous expliquer ce qu'est l'Ayahuasca: c'est une grande liane de la forêt, elle est cuisinée avec la Chacruna qui est la feuille d'un petit buisson vert. Il nous dit que l'Ayahuasca c'est la maitresse et que la Chacruna c'est comme les lunettes pour mieux voir ce que nous montre la maitresse. Il nous explique qu'il ne faudra pas nous allonger pour rester fort et ne pas risquer d'attaques, et qu'il sera celui qui ne boira pas et restera là pour aider ceux qui en ont besoin. Il sert ensuite un verre à chacun, nous buvons et nous nous asseyons, en silence. Cela dure longtemps, ou pas. Impossible à dire. Jusqu'au moment où je sens que mon corps devient comme différent, comme plus frais et plus ouvert, je suis plus consciente de mes pensées et je me mets à comprendre pas mal de choses sur ma façon de cogiter, sur pourquoi je suis ici, mes peurs et tout un tas de trucs dans lesquels je vois soudainement plus clair. Comme si j'étais plus honnête avec moi-même, mais sans me juger. Les chamanes se mettent à chanter et chaque participant se dirige vers un chamane pour recevoir une limpia. J'observe ce qui se passe. Ils frappent la tête avec le surupanga puis ils font un grand bruis, comme s'ils se raclaient très fort la gorge et soufflent ensuite très fort dans la tête de la personne. Lorsque c'est mon tour, je vois des millions d'arc-en-ciel, des fleurs et des chutes d'eau lorsque le chamane souffle en moi de cette façon. La nuit continue de s'écouler, je vais faire un tour à l'extérieur de la maloca. Seule, dans le noir, je me rends compte que j'ai peur. Et puis je ne sais pas, il me prend l'envie de faire face à mes peurs, alors je reste là un moment dans le noir, face à l'inconnu. Et puis, lorsque je n'ai plus peur, je plonge mes mains dans la terre, et là je sens une énergie infinie d'amour et de compassion qui me remplie, je crois que c'est la terre qui me donne tout ça. Je rentre avec cette belle énergie et continue la nuit. Mariane est assise et gémit doucement, comme lointainement. J'essaye de l'aider, une main sur l'épaule, mais quelque part j'ai confiance que tout va bien. J'ai ensuite moi aussi mes moments difficiles, je vois des vers, des millions de gros vers qui semblent grouiller en moi et couler de moi, je n'arrive pas à me reposer, je sens toutes les tensions en moi. Elias m'aide avec patience et je finis par lâcher prise et m'endormir. Au petit matin, je me lève, pleine d'énergie malgré la courte nuit. Je retrouve Segundo et nous échangeons sur la nuit passée. Il me dit avoir rêvé d'un cercueil avec le drapeau équatorien. Une semaine après, un des ministres du gouvernement mourru... quelle drôle de coïncidence. Nous allons retrouver Mariane, qui elle, n'est pas très en point. Elle semble toujours tourmentée, ouvrant à peine les yeux et parlant à peine. Je lui demande si ça va et elle me répond, confuse: "j'ai compris beaucoup de choses sur ma vie cette nuit". Elle ne veut pas manger et gémis constamment. Je m'inquiète un peu mais ni Elias ni Segundo ne semblent s'inquiéter, tout est on ne peut plus normal pour eux. Nous emmenons Mariane à la maison d'Elias, le chemin est difficile et il nous faut la porter à tour de rôle, elle tient à peine sur ses jambes et gémis, parlant d'une voix lanscinante et incompréhensible. On la pose sur le lit et lui amène une pomme. Elle reste un long moment à gémir et se tordre lentement dans tous les sens. Nous restons calmement au dehors, préparant à manger et discutant. Quelques heures plus tard, Mariane va un peu mieux, on comprend ce qu'elle dit quand elle parle, même si elle économise encore sa salive, elle croque lentement dans sa pomme, boit un thé et reprend des forces. Nous reprenons alors le chemin de retour au pick-up pour continuer de visiter la région. Mariane insiste pour nous suivre, mais elle ne conduira pas, je m'en charge donc.

...

Rencontre avec un rocher

...
Après un bon bout de route, nous traversons un pont au dessus d'un gros torrent où se baignent des enfants. Nous laissons la voiture sur un côté et nous rendons vers un petit voisinage.
Nous entrons dans une maison, faite de sorte de grands bambous. A l'intérieur il y a des nids d'oiseaux pendus en file le long des murs et des gros coquillages accrochés en grappes à des poteaux... et puis une sorte de grande table pleine de pierres, de toutes les formes, de toutes les couleurs et de toutes les tailles. C'est un couple qui nous accueille et ils nous expliquent que ce sont les ancêtres dans ces pierres. Ils n'en disent pas plus, mais je commence à comprendre que derrière des mots si simples, se cachent des milleirs de mondes. Segundo respire l'air et se tient devant l'autel de pierres, il reste là un moment, tend une main comme pour saluer et peut-être ressentir ou recevoir, il passe lentement au dessus des pierres, les observant avec une grande concentration.
Puis le monsieur amène un rouleau de tabac. Ca c'est du tabac naturel, pas des miettes toutes pleines de produits mises dans des sachets plastique ou dans des tubes de papier comme on trouve par chez nous. Ca sent la force de la plante et on se sent tout petit face à cette odeur. Le monsieur prépare un grand cigare de ce tabac puis le donne à Segundo qui l'allume et le goute. Un autre servira pour sa femme qui a ramené quelques plantes fraiches et fait une limpia à Mariane pour l'aider.
Ensuite, je ne sais pas trop ce qui se dit en Kichwa, toujours est-il que la dame nous emmène un peu plus loin, vers le torrent. Là se trouve un énorme rocher. Segundo dit que c'est un rocher boa-gorille, qu'il a beaucoup de force. Ayant la permission de la gardienne du lieu, il grimpe sur le rocher et fait ses prières, puis, tout fier, il me demande de prendre des photos.
Segundo est content parce que sur la photo on voit bien le visage du rocher
En descendant du rocher, Segundo "tombe" sur une pierre. Comme si elle avait attiré son attention, il explique que c'est de cette façon que les lieux de pouvoir nous font des cadeaux. Il ramasse la pierre et l'observe un moment. Il m'explique ensuite que c'est bien le rocher qui lui a donné cette reproduction miniature de lui-même, pour l'accompagner ensuite dans ses travaux et que celui-ci lui a donné un avertissement: il lui donnera de l'énergie pour aider, et s'il utilise son pouvoir à mauvais escient, il le rendra malade. Il a déjà un sacré caractère ce rocher. Segundo ramène la pierre à l'intérieur de la maison et la purifie avec le tabac. Il dit que c'est une façon de faire une offrande, pour que l'esprit ne se mette pas en colère... Encore une fois, je soupçonne que cette façon apparemment simple de parler cache une complexité que mon mental occidental n'est pas encore en mesure de capter.
Sur le chemin du retour, Segundo et Elias me parlent beaucoup du taita Kumandi, c'était apparemment le chamane/sorcier le plus célèbre du temps d'Atahualpa et de Rumiñahui. Ils me racontent que normalement, les lieux de pouvoir naissent comme ça, c'est ensuite que l'homme qui passe par là les reconnait et apprend à manier leur pouvoir. Mais certains grands chamanes comme Khumandi était capable de créer des lieux sacrés, en les bénissants ou en faisant quelque chose de très spécial à un endroit précis. Le lieu devenait alors lieu de pouvoir, attirant ainsi les samaicunas (les esprits) et le sinchi (énergie de vie sauvage). De retour à la petite maison d'Elias, celle au bord de la rivière, au fond de la forêt, Mariane va se coucher dans sa chambre, sans même manger un bout. D'ailleurs nous ne mangeons pas grand chose ce soir. Elias et Segundo discutent puis à un moment Segundo dessine un cercle sur le sol en bois de la maisonnette et me dit de me placer au centre, qu'il va me purifier, que j'en ai besoin. Je fais confiance et me place au centre. D'abord il me sopla du trago dessus, bien de partout; je suis poisseuse. Puis il prend une bougie allumée et me dit de fermer les yeux et de lever les bras en croix. Il me souffle alors une boule de feu dessus. Ca chauffe et je sens mes cils qui grésillent en fondant. Puis une autre boule de feu, et encore une autre jusqu'à avoir fait les quatres côtés. Maintenant je sens l'alcool à 90° et le cochon grillé. Puis il prend un gros cigare, un "puro" comme ils l'appellent, et me souffle la fumée sur le corps puis sur la tête et enfin dans mes mains jointes. Voilà, je suis purifiée de l'intérieur, mais je colle et je sens l'alcool, le brûlé et le tabac... Et puis Segundo me donne le conseil habituel: ne pas me laver pendant 3 jours, pour bien laisser pénétrer les énergies. Segundo et Elias discutent encore un moment puis je pose une question sur le tabac et ses usages. Elias m'explique alors qu'ils utilisent le jus de tabac pour mieux voir les rêves. Il prend un gros rouleau de tabac, en coupe un bout et l'émiette dans un verre rempli d'eau. Il laisse ça macérer un petit moment en secouant avec un couteau pour bien mélanger. Puis il boit une gorgée, tend le verre à Segundo qui boit une gorgée à son tour puis me tend le verre. J'approche le verre de mon nez, rien que l'odeur est déjà très forte, ça rentre jusqu'au fond des narines et vient donner un coup de fouet à mon cerveau. Je bois une gorgée. C'est très amer et piquant. Segundo me dit que lorsqu'on boit le tabac, notre transpiration devient amer, et les moustiques n'aiment pas ça, alors ils restent éloignés. C'est pareil avec les esprits, on émane le tabac, c'est une énergie trop forte et désagréable pour les esprits malins et vampiriques, donc ils restent éloignés. Le tabac est très protecteur. Elias m'encourage à boire encore un peu, il me dit de boire jusqu'à ce que je sente une boule dans la gorge. Alors je bois, je bois, jusqu'à ce que je sente comme un point qui m'appuie dans le bas de la gorge, donnant la sensation désagréable de ne pas pouvoir ni avaler ni bien respirer. Je rends donc le verre et reste calme, observatrice... plutôt très concentrée même, comme lorsque j'essaye quelque chose de nouveau, je ne veux pas en rater une miette. Elias me commande alors de me lever et de me mettre debout, à moitié penchée contre le mur et de tenir la position. Cela dure des heures, j'ai les membres engourdis et je vois les deux chamanes qui discutent tranquillement assis sur le sol pendant que je suis là à m'en voir pour rester dans cette position inconfortable. Au bout d'un moment, Elias finit par me dire que je peux changer de position. Je lui demande à quoi ça sert et il me dit qu'il voulait juste voir si mon bras se levait tout seul après ça, comme quand on exerce une pression forte pendant longtemps en essayant de lever le bras, ensuite quand on lâche la pression le bras s'envole tout seul. D'un coup ça fait piouuuuuuf dans ma tête, je vois les petits rires des deux chamanes et me rends compte qu'ils se sont bien foutus de moi. Je suis assez effarée d'avoir pris leur jeu tellement au sérieux et ris intérieurement de moi-même. Ca m'apprendra! Sur ce canulare, on se souhaite la bonne nuit... Une nuit qui pour moi sera très agitée. Sans vraiment dormir ni vraiment être éveillée, je passe une nuit étrange à me battre avec mes propres démons, gémissant le nom de Kumandi dans mon délire nocture.... sentant les dizaines de puces du lit humide qui me courent sur tout le corps. Pendant ce temps, une pluie diluvienne tombe sur la forêt toute la nuit durant ne laissant rien entendre des alentours. Au petit matin, nous nous réveillons sur une forêt belle, calme et trempée de l'orage passé. On entend un groupe de singes passer non loin de là. Mariane sort de sa chambre et semble radieuse. Je suis pour ma part fatiguée mais comme plus forte. Nous passons la matinée dans la forêt, Elias nous montre différentes plantes et nous explique leurs usages médicinaux.
Cette plante est bénéfique aux femmes pendant leurs menstruations
Puis nous remercions tout le monde, Elias, ses parents, et reprenons la route direction Riobamba. Je suis bien fatiguée, mais en mon intérieur, quelque chose de fort se construit; j'ai appris bien des choses ce week-end!

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